36 vues du Pic Saint-Loup, exposition à la galerie HD Nick à Aubais en septembre 2015 et lecture en bibliothèque
Extrait :
Tout en œuvrant, des pensées me traversaient comme chaque fois que la création n’a plus besoin de moi pour évoluer et qu’elle se fait toute seule. Mon esprit, dès lors libre, batifolait sur la ligne de crête qui devenait petit à petit une philosophie, un modèle de vie : une ligne, une seule ligne à suivre désormais, la ligne des cimes ; ligne-route, ligne de conduite simple et pure, délivrée des croisements et des carrefours ; ligne-limite sur laquelle marcher à des hauteurs élevées sans me perdre dans l’azur ni céder à l’attraction terrestre, en évitant le vertige des sommets comme celui des gouffres ; ligne-fil pour funambule bien équilibré ; ligne pour se faufiler entre les opposés ; ligne-une. Allais-je enfin sortir du labyrinthe de mes interrogations ? Je repensai soudain à la dernière prise de vue du film d’Ingmar Bergman, Le septième sceau, où l’on voit, à contre-jour, en ombres chinoises, une petite troupe de comédiens avancer en file indienne, très découpés, sur la ligne sommitale d’une montagne noire. Ligne de vie tragi-comique sur laquelle aller ensemble en dansant plus ou moins bien, chacun jouant son rôle. Ligne originelle dessinée par Dieu quand il sépara les eaux d’en haut de celles d’en bas ; ligne sacrée. Pic Saint-Loup ou Mont Fuji, ne s’agissait-il pas du même propos ? Ligne-récit que j’entamais en cherchant à écrire le pourquoi de ce travail toujours recommencé. Solidité imposante faite à la fois de pierres et d’âme qui inspira la légende d’une femme qui ne sait pas choisir entre trois hommes et qui en meurt ! Qui veut tout, rien n’étreint. Drame de l’unique et du multiple. Les soupirants se sont fait moines à leur retour de croisade, tandis que moi, après avoir lutté à ma façon, j’avais le sentiment de trouver ma voie, celle de l’artiste qui se tient entre les empires céleste et terrestre pour témoigner qu’en ce mitan une posture est possible, sans se perdre. Là me semblait être ma place : me saisir d’un peu de matière et créer un monde pour exprimer, avec ou sans mots, une façon de vivre qui ne cherche pas à tutoyer le ciel. Avec seulement un peu d’encre et du papier, je cessais de me compromettre dans les intérêts de la civilisation et, sans aller jusqu’à m’essayer dans les hautes sphères de l’esprit, j’occupais un entre-deux habitable dans la tension des opposés. Là était ma place et c’était le Pic Saint-Loup qui me la donnait.